Hommage à L'Atalante (1990), un film de Jean Vigo

Heureuse vie, à bord de L'Atalante !

2001 – A propos de la restauration de 1990 (Patrick Perrotte)

À propos de la restauration de « L’Atalante » réalisée en 1990 par Jean Louis Bompoint & Pierre Philippe.

Par Patrick Perrotte

(Enseignant Lycée Louis Feuillade Lunel 34. Membre de l’Association des Enseignants de Cinéma : LES AILES DU DESIR)

Des enseignants de l’Académie de Montpellier ont rencontré à Alès (30) en Novembre 2001, Jean Louis Bompoint pendant un stage de formation consacré à l’œuvre de Jean Vigo. Nous sortions à peine du festival de Sarlat pendant lequel on nous a présenté « officiellement » l’ultime version de ce film.

On parlait alors d’un « retour aux sources » en poussant vers la sortie la précédente version restaurée par Jean Louis Bompoint. On reprochait à sa restauration d’être tout simplement une compilation excessive. Une sorte de fourre-tout contestable.
Jean Louis Bompoint n’était pas invité à Sarlat. Et pourtant il y avait un atelier « restauration » dans lequel il aurait certainement pu apporter des informations précieuses sur son travail sur l‘Atalante. C’est dommage car son témoignage sur ses activités dans les archives Gaumont et en Angleterre reste incontournable.
Ce sont les enseignants de Montpellier qui ont eu la chance de dialoguer avec lui sur son travail et ses connaissances sur Jean Vigo.

Les informations que nous avons rassemblées montrent bien que son travail de 1990 n’est pas une simple compilation approximative mais bien un réel travail de restauration particulièrement soigné et intelligent.

A la lecture des documents mis en ligne par Jean-Louis Bompoint, on comprend vite que Jean Louis Bompoint a réalisé un travail d’une ampleur remarquable sur l‘Atalante. Il accumulé des informations précieuses auprès des gens qui ont participé à sa réalisation (techniciens, acteurs, témoins, etc…). Sa grande connaissance de l’œuvre de Vigo et des détails sur la genèse du film comme le déroulement du tournage nous permettent de mieux entrer dans l’intimité du film.
Jean Louis Bompoint a contesté la nécessité de faire une nouvelle restauration de l’Atalante.

Pour mettre en valeur cette nouvelle version, son propre travail de restauration été dévalorisé. Il a les arguments pour se défendre et compte intervenir dans ce sens, sur son site, puisque c’est le seul moyen qu’il lui reste pour s’exprimer, étant donné, que d’autres ont pris officiellement sa place, pour parler du film.

Après sa conférence, Jean Louis Bompoint a répondu à nos questions.

Extraits :

Où se trouve la copie originale de l’Atalante ? Vous n’avez rien trouvé dans les archives ? Pas la moindre trace ?

Mais… Les négatifs ont été détruits pendant l’occupation ! Il faut rappeler que le régime nazi avait une grande considération pour le cinéma. C’était une des armes principales du nazisme. Et Goebbels savait que les Français (qui étaient un peuple désobéissant et frondeur), ne se plieraient pas facilement à la discipline nazie. Pour remédier à cela il a décidé d’utiliser le Cinéma eta demandé à Alfred Greven (Producteur Allemand, Francophone, rallié à la cause nazie et subordonné à Goebbels), de prendre en charge le Cinéma Français. Ainsi sera fondé le puissant groupe cinématographique « Continental ». Greven aura pour mission de créer des comédies légères et insipides pour amuser le « bas peuple » et pour les intellectuels, il sera chargé de produire des films dans lesquels les Français se bouffent entre eux et se désespèrent. Regardez les films comme le « Corbeau » , « L’assassin habite au 21 », « L’assassinat du Père Noël », etc… Il y a bien un dénominateur commun à tous ses films. Remarquables d’ailleurs… Mais dans ces œuvres les Français se méfient, ils se déchirent entre eux. Mais avant que Greven arrive en fonction, la Gestapo aurait reçu l’ordre de détruire toutes les bobines de films « subversifs ». Alors vous pensez que les films interdits par la censure ou des réalisateurs de gauche étaient en première ligne. Vigo le premier, c’est le fils d’un anarchiste, etc.. !

Avez vous trouvé des documents confirmant la destruction de l’Atalante ?

C’est Pierre Merle* qui me la confirmé. Mais cela n’a jamais été prouvé. Cela n’est d’ailleurs pas propre à l’Atalante. On a un moment donné, parlé de bombardements et d’autres d’histoires… En revanche, le négatif original a bien été perdu. Cela est sûr. J’ai pour ma part, cherché longtemps. J’ai tout retourné dans les archives Gaumont, à la Cinémathèque de Belgique, etc.. J’ai ennuyé les gens à la Cinémathèque Suisse, etc…. Je n’ai rien trouvé. Le négatif a bien été perdu.
(*) Assistant Réalisateur sur l’Atalante

Comment avez vous abordé le son ?

En 1990 quand nous avons restauré le son avec nos partenaires, nous avions décidé de faire une toilette pour retirer des scories et rendre certains dialogues plus compréhensibles, puis clarifier la musique. Mais il n’était pas question de remettre en cause la tonalité du style de l’époque, c’est à dire le procédé à densité fixe  » RADIO CINEMA « . Pas question de faire à l’Atalante ce que Violet-Leduc a fait sur certains monuments Français ! D’une manière générale pour tout le film, il faut savoir que nous avons, avec Pierre Philippe, suivi à la lettre les instructions manuscrites de Jean Vigo (documents confiés par Luce Vigo). Seuls deux petits passages ne me plaisent pas mais ils ont été décidés par Pierre Philippe.

… Lesquels ?

Eh bien, il y a ce plan où Jean Dasté lèche un bloc de glace en plein milieu de la séquence du phonographe. Cela me semble stupide. J’étais pour ma part vraiment contre…. Quant au deuxième, Pierre Philippe a rajouté un peu de réverbération sur le plan de l’avion au niveau du son. Cela pour que la voix de Marthe Jaubert résonne dans le noir de la pellicule.

… Et les motivations de la société Gaumont en 1990 ?

Gaumont ne pouvait pas faire autrement que d’ordonner en 1990 la restauration de l’Atalante. Car le copyright allait tomber dans le Domaine Public ! Pour cette restauration, on a dépensé une petite fortune !

Quelles étaient les motivations de Nounez, le producteur ?

Nounez avait confiance. Il a vite perçu le talent de Vigo (…). L’accord de production d’un film étant décidé, Vigo qui détestait l’école et en gardait des souvenirs douloureux, lui proposa de faire un film intitulé « Les cancres ». Il voulait critiquer l’institution scolaire, son système, et mettre en évidence la soif de liberté qu’éprouvent tous les enfants du monde entier. Nounez, qui avait un esprit ouvert, accepta facilement. Il décida de prendre un distributeur sérieux. Ce fut Gaumont. Nounez apportait l’argent et Gaumont le matériel. Le tournage de  » Zéro de conduite » pouvait commencer ; mais dans un état de panique générale car il n’y avait pas grand chose d’organisé. Dans ce contexte un peu « amateur » régnait un climat assez joyeux. Bref, ils tournent « Zéro de conduite » et Nounez, qui a laissé toute liberté d’action à Vigo, trouve le film amusant et sympathique. En revanche, du côté de chez Gaumont la réaction est très négative ! Beaucoup de scènes sont contestées. Le Distributeur n’accepte pas le manque d’autorité des profs, l’insolence des enfants, l’apparition furtive d’un sexe d’enfant, etc… Il ne faut pas oublier que nous sommes alors en 1933 autrement dit à la veille de grands événements (…) Bref quand le film passe au comité de censure il est tout simplement interdit. Voilà un cinéaste d’une vingtaine d’années qui a eu la chance de rencontrer un mécène généreux et qui de plus, a eu comme distributeur, la très sérieuse société Gaumont, voit au bout du compte son premier film interdit !! C’est donc une carrière qui commence de manière catastrophique. Mais cela n’a pas fait fuir Nounez qui a pourtant beaucoup perdu d’argent dans cette affaire. Bien au contraire il s’engagea dans une nouvelle production avec Vigo mais en imposant cette fois ci, le choix du scénario. A l’opposé des thèmes provocateurs, il chercha un sujet « insipide ». Il avait parmi les connaissances de son épouse un certain Jean Guinée qui avait pondu une histoire bien simple d’un couple sur une péniche. Pour Nounez c’était le sujet de film idéal. Persuadé que le talent de Vigo transfigurera cette banale (et même stupide) histoire d’amour. Je trouve que Nounez a eu un éclair d’intelligence. Vigo a assez vite réalisé qu’i devait prendre sa chance. Il confia un jour à Albert Riéra en évoquant le scénario  » … Mais que veux tu que je fasse de ça ? ». Albert Riéra qui est quelqu’un de très doux lui a répondu  » …D’accord cette histoire est sans saveur.Mais c’est à toi de la rendre intéressante ». En discutant avec Pierre Merle & Riéra, Vigo commença à mijoter des ressources. Et puis la veille il avait rencontré, grâce à Riéra, Michel Simon dans sa loge au théâtre. Pour lui c’était un acteur formidable. Simon fut emballé par la personnalité de Vigo « le fils de l’anarchiste ». Il donna son accord à Vigo qui voyait en lui un « Père Jules » idéal.(…) Vigo trouva aussi un élément intéressant dans le scénario qui allait donner la modernité au film : C’était la première fois qu’on abordait au Cinéma, un problème d’un jeune couple à peine marié. Alors qu’en général il s’agissait surtout des histoires de couples tirées du théâtre de boulevard.
À partir de là, le scénario a été réalisé rapidement. (…)

Quelle était l’ambiance sur le tournage ?

Pour tourner le film ils n’avaient pas beaucoup de temps. Tout a été tourné d’une manière très spontanée. Ceci donne encore aujourd’hui une indéniable fraîcheur au film. Il n’y avait pas beaucoup de répétitions. Beaucoup de rôles secondaires sont tenus par des non-professionnels (des amis en général). Tout ce petit monde s’est retrouvé pour le tournage et personne ne se prenait vraiment au sérieux. Vigo était très gentil et ils avaient presque tous le même âge. Etc … Par la suite, à la projection, on a trouvé une véritable poésie dans les images. Mais si vous regardez bien  » L’ATALANTE « , vous constaterez un grand nombre d’erreurs techniques dans les raccords, dans l’éclairage, au niveau du son. On peut même affirmer que la continuité dialoguée ne tient pas debout. Mais grâce à une alchimie particulière ce film est une réussite. Le scénario était un peu fou mais assez simple pour permettre une certaine improvisation. Tous les comédiens étaient reliés à la cause de Vigo. Ils étaient tous amis. C’était le cas de Gilles Margaritis qui blaguait souvent avec Vigo pendant et en dehors du tournage. Ils ont d’ailleurs perdu pas mal de temps à cause de cela … Avant le film Vigo et Margaritis s’amusaient beaucoup a faire des batailles d’œufs, des concours pour connaître le meilleur buveur de vin blanc au restaurant  » La Coupole « , etc … Tous les deux étaient des farceurs ! Un jour, à La Coupole, Vigo proposa à Margaritis de jouer dans son film. Ce dernier accepta à une condition : Qu’il ne lui demande pas de chanter ! Ce fut bien entendu le contraire qui arriva ! Vigo le farceur demanda à Maurice Jaubert et Charles Goldblatt de composer immédiatement une chanson pour Margaritis. Et pour le tournage de la scène il y a eu 53 prises ! Margaritis ne s’en sortait pas car la musique de Jaubert était compliquée et les paroles de Goldblatt assez alambiquées. Le tout étant enregistré en direct ! Mais cela amusait Vigo de voir son ami Margaritis dans une telle situation. Jacqueline Morland la Scripte du film, nous a dit que :  » C’était terrible quand nous avons tourné cette scène ! Vigo tournait avec deux caméras et les bobines s’accumulaient ! Margaritis ne s’en sortait pas. Le Directeur de Production s’arrachait les cheveux. Et Vigo lui, s’amusait beaucoup !  » Ceci permet de montrer l’ambiance du film. Il y a une autre anecdote qui me vient à l’esprit à propos de la scène où Jean Dasté plonge dans l’eau depuis la péniche. C’était l’hiver 1933 et il a fallu casser la glace. Dasté qui était au bord de la péniche ne savait pas trop ce qu’il devait faire. Vigo lui cria « Tu sautes et tu remontes ! ». Dans son dos tous les assistants et les machinistes reprirent d’une seule voix, le commentaire désabusé du Marinier, responsable de la péniche : « Si… il remonte » ! On se demande si cette plongée de Dasté était vraiment prévue dans le scénario. Il s’agissait peut-être d’une nouvelle facétie de Vigo… Mais en fait, non. Le Poète avait bien sa petite idée derrière la tête en demandant à son acteur de jouer cette scène impossible.


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