Les témoignages suivants sont tiré du livre sur Jean Vigo de Pierre Lherminier, ed.Seghers.1967.
JEAN DASTÉ – L’INVENTION DANS LA RIGUEUR
Vigo avait un scénario très très précis et en même temps, aussi, souvent il inventait en fonction des gens avec qui il était et des situations données (…).
A l’intérieur de ce scénario on avait l’impression qu’il se servait de toute la vie. Par la force des choses d’ailleurs, et par économie, la plupart des acteurs qui jouaient les petits rôles dans le film étaient des amis, des gens qu’il connaissait. Et ce n’était pas pour leur faire plaisir, c’était parce que ça correspondait à ce qu’il voulait et à un besoin, justement, pour bien travailler, de travailler en équipe et en amis. Et en même temps, il était dans un contact constant avec la vie, avec les choses présentes.
Il m’a souvent combattu, parce qu’il trouvait que je faisais un peu théâtre, alors il me disait : « Ne fais pas du Copeau ! ne fais pas du Copeau ! sois plus simple ! sois plus direct ! ».
Toute cette cabine de Michel Simon, je me souviens, Vigo a mis du temps à l’habiter. Il a cherché, il a demandé des objets à des amis. On lui prêtait des objets et il était passionné par tout ce qu’il mettait dans cette chambre et toute l’atmosphère qu’il devait lui donner. Et c’est vraiment lui qui a tout apporté, qui a tout mis, c’est lui qui a amené tous les objets qui donnaient l’atmosphère extraordinaire qu’il y a dans cette petite cabine.
Déclarations à la Télévision française.
DITA PARLO – IL SE LAISSAIT SURPRENDRE PAR LA VIE…
Quand je voyais Vigo, j’avais, à ces moments-là déjà, l’impression, vous savez, que donnent les bougies avant qu’elles s’éteignent — elles donnent quelquefois de très grandes flammes, plus grandes, elles sont curieusement grandes, ce souffle énorme, plusieurs fois, mais qui brille merveilleusement, une foule de lumières autour de cette flamme, et Vigo, pour moi c’était toujours cela. Je sentais qu’il n’était déjà plus ici.
Ce n’était pas, pour moi, un metteur en scène qui fignolait intellectuellement à propos de ceci ou de cela ; non, pas du tout. C’était avec lui une espèce d’atmosphère de – pas de facilité bien sûr mais de naturel ; de naturel, c’est ça. (…)
J’ai l’impression que Vigo se laissait tout de même surprendre par la vie elle-même, par les scènes qui se formaient, par les acteurs, le texte, la lumière et ce qu’il voyait. C’était comme une atmosphère, comme quelqu’un qui se trouve dans cette pièce par exemple et qui est là, et qui par sa personnalité fait marcher les choses, tandis que Renoir était, à mon avis, plus ferme, plus despote, et faisait tout de même beaucoup plus trembler les gens. (…) Vigo avait une telle estime, si vous voulez, une telle dévotion devant chaque être humain et devant chaque personne, qu’il essayait de ne pas y toucher mais de le montrer sous ses meilleures possibilités sans le tracasser du tout. (…) On était entièrement libre, tout en regardant constamment Vigo pour savoir si oui ou non c’était ça.
Déclarations à la Télévision française.
MICHEL SIMON – LIBERTÉ DE LA CRÉATION
Je l’ai surtout vu dans ma loge, quand il venait pendant le spectacle, au théâtre du Gymnase. Je lui racontais des histoires vaudoises et c’est là que, petit à petit, le personnage de L’Atalante s’est dessiné.
Dans ma loge, parce que je racontais des histoires. Je lui disais : « Je connais un personnage, à Leysin, le père Isaac, qui était un personnage très extraordinaire, très extravagant, un personnage hoffmannesque. » Ça séduisait Jean Vigo et finalement le personnage s’est créé comme ça, tout seul.
Je lui avais dit : « Je déteste répéter deux fois une scène, la seconde fois elle est fatalement mentie. » Eh bien, il y a peu d’hommes qui ont compris ça, il y a Vigo, il y a Renoir, il y a Sacha Guitry, il y a très peu de metteurs en scène qui ont compris que la deuxième fois, c’était déjà un mensonge. Il avait une liberté totale dans ce qu’il faisait. – « Et si on faisait ça ? – Ah ! merveilleux ! – ou ça ? – Ah, c’est épatant ! » Il tenait compte de toutes les suggestions, n’est-ce pas. (…/…) – Vous savez, la scène du disque où il entend la musique en passant le doigt, c’est venu immédiatement, dans ce matériel hétéroclite, invraisemblable. La poésie naissait de la présence des objets.
Déclarations à la Télévision française.
GEORGES FRANJU
Le cinéma réaliste et poétique français prend son départ avec Vigo. L’école réaliste et sociale de 1936/1940, appelée aussi école du « Réalisme fantastique », lui fait suite, et le néo-réalisme italien ne lui est pas si « étranger ». Moins étranger, en tout cas, que cette « nouvelle vague » française, avorton du nouveau cinéma italien, mais à qui il manquait ces trois qualités qui font la beauté et la jeunesse de Vigo, de l’école française de 1936 et de l’école italienne de 1944: la poésie, l’humour et l’amour.
Cette nouvelle vague des puceaux et des peigne-culs, qui se voulait cynique et révolutionnaire, et dont on voit, maintenant qu’elle s’est retirée, qu’elle ne laisse que des épaves…
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